Les couleurs arrivent ! A moins que ce ne soit que moi ...

Le souffle court, je revins peu à peu à moi ... Pourquoi était-ce nécessaire que je revienne à moi déjà ? J'avais beau fouiller ma mémoire, le dernier souvenir que j'avais était ce moment sur la plage ensoleillée, avec cette mignonne petite fille ... Oh ! La petite fille et sa boîte ! Qu'avait-elle bien pu me faire pour que je sois obligée de reprendre mes esprits ?

Je décidai de mettre momentanément de côté cette question pour me concentrer sur l'endroit où j'étais. Les yeux encore fermés, je laissais mes mains se balader tout autour de moi tandis que mes oreilles se tendaient dans l'espoir d'entendre un quelconque bruit. Mes doigts m'apprirent que j'étais allongée sur un tapis tressé, de style asiatique sans doute. Aucun bruit ne se faisant entendre, j'ouvris finalement les yeux pour découvrir une salle de thème asiatique comme je l'avais deviné. Ce thème était parfaitement respecté d'ailleurs ... Je regrettais juste l'absence de couleurs joyeuses ... Ceci dit, personne ne pouvait m'empêcher d'être moi-même et mon amour des costumes refit très vite surface :

- Pour aller avec l'ambiance, il aurait fallu que je sois habillée d'un kimono ... Mais j'opterais pour un tissu de satin rose pâle, orné de délicates fleurs de cerisier du Japon. Cela apporterait une touche de couleur sans briser le sentiment de tranquillité que dégage la décoration ..., commençai-je à réfléchir à voix basse.

Mes pensées m'emmenèrent loin de cette pièce, voyageant dans l'atelier de stylisme que je dissimulais dans les méandres de mon esprit. Je finis néanmoins par revenir à moi - ça devenait une habitude ma parole -, et remarquai enfin que j'étais seule dans cette grande pièce ...

- He ho ! Quelqu'un m'entend ? appellai-je alors à haute voix.

- BOUH !

Pour toute réponse, mon sourcil se leva, interrogateur. Bon, entre nous, je l'avoue : mon coeur avait raté un battement ... ou deux. Ne me jetez pas la pierre tout de suite, qui pourrait se gargariser de ne pas être surpris quand une voix sortie de nulle part vous fait "bouh" ? Mais au fond mon interlocuteur s'attendait à quoi en faisant ça ? Que je fasse un bond de 3 mètres, au risque de me taper la tête contre le plafond ? Non, désolée, ce n'était pas le genre de la maison.

- Je suis Alphaaaa ! Je te présente ton nouveau chez toi ! Ca te plaît j'espère.

Alpha. Ce n'était pas le nom de la petite fille à la boîte ça ? Celui que j'avais réussi à entrapercevoir sur son sac à dos avant qu'il ne m'arrive ... Qu'il ne m'arrive quoi d'ailleurs ? Ca, c'était une question intéressante à poser ! Et puis qui avait parlé d'un nouveau chez moi aussi ? Il était hors de question que je déménage : j'étais parfaitement bien à la maison, avec mes parents. L'endroit dans lequel je me trouvais ne me plaisait pas de toute façon.

- Tu as le droit à un voeu ! A part sortir parce que c'est ennuyant... Mais je suis sûre que tu as de l'imagination. Alors, c'est quoi ton voeu ?

Comment ça c'est ennuyant de sortir et puis c'est quoi cette histoire de voeu ? Ca commençait à faire beaucoup de questions qui se bousculaient dans ma tête. Je décidai alors de mettre tout cela à plat, et si je pouvais avoir des réponses à ces questions, ce serait encore mieux. Et tant qu'on y était, autant le faire tout de suite.

- Avant de faire quelque voeu que ce soit, j'ai le droit à un minimum d'explications je pense ! affirmai-je d'un ton décidé. Où est-ce que je suis ? Qu'est-ce qui m'est arrivé ? Ou plutôt que m'as-tu fait ? Et puis qui es-tu pour penser pouvoir me dicter ce que j'ai à faire ? Ensuite qui a dit que j'avais l'intention de rester ici ? Je suis très bien chez mes parents, sans compter que toutes mes affaires sont là-bas ! Et puis pourquoi je suis obligée de parler dans le vide au lieu de te parler directement en face à face ?

Je me tus aussi brusquement que j'avais commencé à mitrailler mes questions. Il y en avait déjà bien assez auxquelles la gamine devrait répondre. D'autant que c'était plutôt brouillon tout ça ; à elle de faire le tri. Après tout ce n'était pas moi qui avais voulu me retrouver là, alors il était hors de question que je fasse un effort à sa place !

- Tu es entrée dans ma boîte. Là tu es dans la salle d'accueil, le reste n'attend plus que toi.

Comment diable voulait-elle me faire croire que j'étais entrée dans une boîte ? J'étais naïve certes, mais la physique imposait certaines règles précises non ? Et si on se fiait à ces règles, un être humain - humain, pas lilliputien j'ai dit - ne pouvait pas entrer dans une boîte.

- Je ne te dicte pas ce que tu as à faire, c'est méchant de me dire ça. Je sais que tu veux m'abandonner comme tous les autres mais je ne me laisse plus faire maintenant alors tu resteras ici !

On se demandait vraiment qui était la plus méchante ici ... Néanmoins à travers ces quelques mots, je venais de trouver une porte de sortie ...

- Et je suis hors de la boîte donc on ne se voit pas... Mais si tu veux me parler en face, je peux faire une projection devant toi. Comme ça.

En sentant une main sur mon épaule, je me suis retournée d'un block. La petite qui me faisait face était tout aussi mignonne que dans mon souvenir. Comment une enfant d'apparence si adorable avait-elle pu monter un stratagème aussi tordu pour "garder les gens avec elle" ? Ses grands yeux vaguement translucides étaient fixés sur moi et me serais perdue volontiers dedans. Je me perdais déjà à imaginer une petite robe à volants dont la couleur mettrait celle de ses yeux en valeur ... Et lorsque je me repris, j'avais déjà perdu une partie de la conversation :

- ... d'autres questions ? Si non, c'est quoi ton vœu alors ?
- Oublie un peu cette histoire de voeu pour le moment, lui dis-je d'une voix volontairement plus douce que celle utilisée pour lui poser mes précédentes questions. Explique-moi cette histoire de boîte ; j'avoue ne pas bien saisir l'histoire. Et puis qui a dit que je veux te quitter ? Si je retourne chez moi, je ne t'oublierai pas et puis on a peut-être plein de points communs toutes les deux, qui sait.

Je décidai de m'asseoir en tailleur pour plus de confort ; la discussion allait être longue si je voulais mener à bien mon idée. Ca ne me plaisait pas de jouer avec la corde sensible de cette mignonne petite fille mais je n'avais certainement pas l'intention de me laisser enfermer. Comment allais-je continuer à créer mes costumes si je restais ici ? Comment allais-je pouvoir m'amuser sans mes amis ? Bref. La possibilité de rester n'était même pas envisagée.

- Ba faudra bien que tu me le donnes un jour. Et pas à la saint glinglin, quoi.

La moue d'Alpha me fit sourire : si elle voulait faire un concours de bouilles capricieuses et mignonnes à la fois, je ne la laisserais pas gagner facilement.

- C'est ce que dit tout le monde. Et tu le penses peut être. Mais quand ça arrivera, tu m'oublieras et retourneras à ta vie à toi. Tout le monde fait ça. Et puis tu sais... Eraël m'a déjà dit qu'on peut pas forcer les gens à nous aimer...
- Tu ne me connais pas, tu n'as pas le droit de dire ça ! Et puis si tu ne donnes pas aux gens la possibilité de s'attacher à toi sans y être obligés, tu ne trouveras jamais d'amis francs et fiables. Tandis que si tu laisses aux autres, et à moi aussi, le choix de t'aimer ou pas ; on s'attachera à toi pour tes bons côtés sans te voir comme une maîtresse.

Bon j'avoue, tous les arguments étaient bons pour la faire flancher ... Je voulais sortir de cette boîte. Mais quand son petit ours en peluche apparut, mon coeur se serra dans ma poitrine. Avec cet espèce de doudou dans les bras, la petite fille semblait tellement innocente et fragile. On n'avait envie que d'une chose en la voyant ; c'était de lui faire un énooooorme câlin. Et mes bras s'ouvrirent légèrement avant que je ne me rende compte que serrer contre soi une illusion était ... relativement peu conseillé car pas du tout productif.

- Mais même s'il dit ça parce qu'il est gentil et qu'il veut pas forcer les autres, on est beaucoup plus heureux maintenant, tu sais. Les autres sont méchants et égoïstes. Alors c'est à notre tour d'être comme ça maintenant, et tu sais, je laisserai plus personne nous abandonner ! C'est la seule solution qui marche !

Et voilà comment une personne pouvait me faire passer d'une humeur tendre et câline à une humeur de rejet total. J'avais beau être très gamine dans ma vie de tous les jours, je ne supportais pas qu'on m'impose des choses. Surtout pas quand je faisais face à une enfant d'une dizaine d'années à peine. Et j'aurais bien voulu savoir ce qu'en pensait cet Eraël au juste. D'ailleurs c'était qui lui ?

- Donc vous êtes deux à diriger cette histoire ? Qui est Eraël ? Ton frère ? Ton meilleur ami ?

Avec un peu de chance, Eraël serait plus âgé donc moins buté. Et toujours avec un peu de chance, je pourrais sortir d'ici avec son aide.

- Et la boîte ben c'est ma boîte. Ma boîte à moi. Ma boîte de magicienne. Elle était à grand-mère et Maman a fait la méchante en voulant la jeter. Alors je l'ai récupérée et utilisée. Il parait qu'on a un lien de famille avec Pandore... Mais abuela est morte alors je pourrais jamais en savoir plus.

Ah ben non, apparemment personne d'autre qu'Alpha ne pourrait intervenir. Néanmoins l'histoire de la boîte me toucha ... La petite fille semblait naviguer entre passé pas forcément joyeux et présent presque manipulateur.

- Pourquoi avoir fait de choix d'en faire une boîte d'enfermement ? Tu aurais pu en faire une boîte pour ranger tes plus beaux souvenirs ... Ou pour ranger tes jouets préférés ...

- Alors je n'ai pas de bons côtés, parce que personne ne s'attache à moi sans ça.

Que pouvais-je répondre à ça ? Je voyais bien sur son visage qu'elle me disait ce qu'elle pensait réellement ... Trop de gens avaient dû la blesser et la faire grandir trop vite, et une seule discussion avec elle ne me permettrait probablement pas de changer cette vision qu'elle avait d'elle-même. Mais je n'allais pas baisser les bras pour autant ; Alpha devrait bien accepter un jour que l'image qu'elle avait de sa propre personne n'était pas forcément celle que les autres avaient d'elle.

- Donc vous êtes deux à diriger cette histoire ?
- Non, je suis toute seule ! Il y est pour rien, lui ! Il est gentil.
- Qui est Eraël ? Ton frère ? Ton meilleur ami ?
- Mon meilleur ami.

Un sourire se dessina sur mes lèvres. Elle y était attachée à son meilleur ami. Quand elle en parlait, j'avais l'impression de voir deux éclats différents dans ses grands yeux : un éclat de douceur innocente et un éclat de défense, de protection. La petite fille qui me faisait face semblait bien plus forte que je ne l'aurais pensé de prime abord. Après tout peut-être pourrions-nous devenir amies .. Une fois que je serais hors de cette boîte.

- J'ai préféré y mettre le seul ami qu'on voulait m'enlever en déménageant. Encore une fois.

Voilà donc le point de départ de tout ça ! Cette boîte était juste un moyen de garder son meilleur ami près d'elle quand on avait voulu le lui enlever. Et les larmes qui perlaient aux coins des yeux de la petite me confirmèrent la douleur qui se cachait derrière cette mascarade.

- J'ai ajouté des personnes pour pas qu'Era' se sente seul quand je pouvais pas jouer avec lui et puis j'ai vu que... j'étais plus invisible aux yeux des gens. Je préfère encore qu'on me déteste, qu'on me haïsse, plutôt qu'on m'ignore, tu sais. Si je suis pas un minimum égoïste, je serai malheureuse toute ma vie.
- Après tout on dit bien souvent qu'entre la haine et l'amour il n'y a qu'un pas. Cependant est-ce que toi tu te sens capable de te voir comme une fille égoïste et joueuse au point d'être manipulatrice ? Ne préférerais-tu pas profiter de la vie et surtout de ton enfance comme n'importe quelle petite fille ? Je pense qu'Eraël ne t'en voudrait pas de le garder près de toi mais hors de la boîte.

J'étais parfaitement sincère dans mes propos. Je refusais de rester enfermée ici, mais ça ne m'empêchait pas de m'intéresser et de m'inquiéter pour Alpha.

- Mais c'est pas possible, si j'accepte d'être comme tout le monde, je serai plus rien pour personne !
- Voyons, arrête de dire des bêtises ! Tu resteras toujours la meilleure amie d'Eraël, tout comme nous pouvons devenir amies toutes les deux. Et qui pourrait bien t'empêcher de trouver d'autres amis ? Ce n'est pas parce que certaines personnes ont été méchantes avec toi ou t'ont abandonnée que toutes vont se comporter de la même manière !

Comment était-il possible qu'une fillette, une enfant si petite et fragile puisse déprimer autant ? Comment, à son âge, était-elle capable d'être autant défaitiste ? J'étais soufflée par tant de pensées négatives émanant d'une simple petite fille ... J'espérais pouvoir la faire changer d'avis sur la vie et ses relations avec les gens.

Tout bien considéré, je commençais à me demander si je ne serais pas mieux ici pour l'aider. Bon, je n'avais pas l'intention de rester ici ad vitam eternam mais je venais de me fixer un nouveau but prioritaire. Et puis si j'arrivais à aider Alpha, je l'aurais trouvée ma porte de sortie ! ... Mais je n'allais pas lui dire tout de suite que je remettais mon projet de sortie à plus tard.

- Mais c'est pas possible, on déménage tout le temps ! Et puis... Il était pas heureux dans la vie réelle de toute façon. C'est vrai qu'il aime pas que je force les gens à nous aimer en les emmenant ici mais il sourit beaucoup plus sincèrement qu'avant, ça le trahit...
- Ok ... Donc vous n'avez trouvé que ce moyen pour échapper aux contraintes de la vie ? Es-tu vraiment satisfaite de cette solution ? Essuyer la haine des gens qui n'ont pas choisi de rester ici, devoir toujours encaisser et leur répéter qu'ils devront rester qu'ils le veuillent ou non ... Est-ce vraiment une vie ?

J'étais curieuse de savoir comment Eraël voyait les choses, lui, de l'intérieur de cette boîte. Il serait donc la première personne que je chercherais après ma première discussion avec Alpha.